· 

La Renaissance à Viviers,  Chronique autour de deux poètes

Jacques et Marie de Romieu : frère et sœur, poètes à Viviers.

 

Jacques de Romieu, religieux et poète.

 

Je commence par Jacques, dont l’histoire est connue et attestée.

Fils de boulanger vivarois, né en 1555, enfant de chœur à la cathédrale de Viviers, il effectue une belle carrière, en commençant par des études à Paris vers 1580-82, où il obtient un diplôme de maître ès-arts, ancêtre du titre de bachelier ès-lettres.

Secrétaire de la chambre du Roi, il fait publier en septembre 1581 l’ouvrage signé de sa sœur Marie. Nous en reparlerons.

Après des études de droit à Toulouse, puis à Valence où il obtient le titre de docteur ès-droits, il entame une longue carrière religieuse, et devient chanoine de l’église cathédrale de Viviers.

Il possède également le titre d’avocat à la cour de Nîmes.

Avec un regard d’historien, il entreprend des recherches sur l’antiquité de l’église-cathédrale de Viviers. Cet esprit curieux s’intéresse également à la chimie et à la transmutation.

Jacques de Romieu possède trois maisons à l’intérieur du Château, dont une au niveau de la montée de l’Abri, en plus de la maison familiale de la rue Chabrerie (ou « Rue qui ne-passe-pas »).  Dans la campagne vivaroise, il achète en 1596 une propriété, quartier Valflorie, où il devient apiculteur.

Jacques de Romieu, meurt en 1632 ; sa dépouille demeure à la chapelle de la Sainte Trinité, dans notre célèbre cathédrale de Viviers, où j’ai désormais une pensée pour lui, lorsque j’admire le lustre parfait découpé sur les ogives du chœur, dans ce lieu sacré, harmonieux, imposant et discret.

 Jacques de Romieu fait paraitre à Lyon ses « Meslanges », en 1584. Parmi les écrits qui lui sont attribués, deux sonnets, sans doute écrits sur la fin de sa carrière poétique, apportent une note originale à son riche destin : lui, Jacques, sacristain catholique de la cathédrale de Viviers, dédie un sincère éloge à Olivier de Serres, le huguenot, et à son travail au Pradel ! (A lire sur le lien de la chronique historique de JS). Au siècle des guerres de religion, ce regard poétique œcuménique fait du bien.

Marie de Romieu : mythe ou réalité ?

 

Si l’Histoire a gardé les preuves de la vie de Jacques, dans sa belle ascension sociale de vivarois, à la Renaissance, l’existence de sa sœur Marie demeure une énigme.

Les registres officiels de l’époque, ne donnent en effet ni l’année de naissance ni l’année de décès de cette poète vivaroise, qui n’apparaît dans aucun acte notarié.

Son livre est cependant étudié par les spécialistes de la littérature féminine à la Renaissance.

En interprétant les textes publiés, il semble qu’elle soit bien la sœur de Jacques  (elle lui écrit une épître) ; elle partage avec lui des parentés affichées ;  elle semble avoir un fils (à qui elle dédie un sonnet), elle paraît être mariée (les charges de « son ménage » lui empêche d’écrire autant qu’elle le souhaite). Mais tout cela n’est qu’interprétation.

Dans son ouvrage consacré à Marie et Jacques, Auguste Le Sourd, éminent archiviste et paléographe, expert dans l’exercice des recherches historiques locales, suggère que Jacques pourrait être l’auteur de ces textes, en ayant sélectionné ses meilleurs écrits pour les publier sous le nom de Marie, plus « porteur », (ou plus susceptible d’assumer des écrits sensibles et critiques, voire « féministes » ?), en les accompagnant peut-être de contributions d’autres jeunes gens de son entourage, célébrant cette sœur imaginaire ; pourtant  les spécialistes de la poésie du XVIe réfutent cette interprétation, tant les textes signés Marie sont marqués par sa féminité.

A. le Sourd a intitulé finalement deux des quinze chapitres de son étude : « Marie de Romieu n’a pas existé » et « Marie de Romieu a existé », sans adopter de position définitive.

Le mystère qui entoure Marie éveille l’intérêt des âmes poètes.

 

Marie de Romieu  est officiellement l’auteure d’un livre de poésies, édité en en 1581, à la demande de son frère : « Les Premières Oeuvres poétiques de Ma Demoiselle Marie de Romieu vivaroise ». En 1878, il fut réédité sous le titre « Œuvres Poétiques de Marie de Romieu »

Elle y exprime clairement les ressentis que l’on appellerait féministes aujourd’hui, à travers une poésie de forme lyrique, inspirée des poètes latins ou grecs, qui reflète l’éducation des filles instruites dans l’idéal de la Renaissance. Esprit aiguisé, très critique, moqueur, elle répond à un texte misogyne apparemment écrit par son frère, dans « Un bref Discours que l’excellence de la femme dépasse celle de l’homme, non moins récréatif que plein de beaux exemples » !

 

Extraits (du texte de quatorze pages)

« …Ainsy, ou peu s’en faut, l’homme ignare ne sçait

Quel est entre les deux sexes le plus parfait,

… Et comme le soleil et ses luisants flambeaux

Qui drillent dessus nous, comme tous animaux,

La nourricière terre, et comme le ciel mesme,

Bref tout ce qui fut faict de la main du supreme

Devant l’homme mortel, n’est point si précieux,

Que l’homme est sur cela beaucoup plus glorieux,

Tout ainsi la femme est dessus l’homme plus digne

Comme chef-d’œuvre au vray de la vertu divine.

…Allons donc plus avant, venons à la douceur

Et sainte humanité dont est emplie leur cueur.

…Le ciel vouté n’a point tant de luisants brandons

Comme l’on comptera de féminins mentons

Qui ont abandonné leurs caducques richesses

Et se sont fait au ciel, immortelles Déesses,

Aux pauvres, dédié ont fait bâtir maint lieu,

Qui pour toujours estoit pour la gloire de Dieu,

Ont fait édifier mille et mille chapelles,

Racheté prisonniers, y a-t-il œuvres plus belles ?

Jamais ne seroit fait qui voudroit par menu

Raconter la pitié par elles maintenu.

… Celui qui nous sauva, estant ressuscité

Monstra premièrement sa saincte humanité

Aux dames… »

 


En plus de dénoncer les injustices faites aux femmes, son écriture excelle dans la rédaction des éloges funèbres, avec un style qui nous semble aujourd’hui très recherché, érudit, lyrique et emphatique, style des odes et des élégies, très en vogue dans la culture classique et la Renaissance. Son écriture travaillée manie autant l’humour et la causticité que le compliment ! Oui, Marie me parle.

Certains historiens lui attribuent un autre livre paru en 1612 : « La messagère de l’amour », mais aucune trace n’en subsiste,  le mystère se prolonge.

 

J’aime imaginer son esprit errant près du Rhône, admirant le rocher sur lequel trônait la cathédrale, se souvenant des années lointaines où Marie, bien vivante, entrait dans la grande maison canoniale de son frère, Jacques. Du haut des fenêtres ouvertes dans les hauts murs en balcon sur la vallée, je l’imagine observer le miracle quotidien de la nature, préparant un nouveau sonnet.

Son esprit mystérieux doit bien errer sans bruit dans la belle cathédrale, gardienne de Viviers, où j’aimerais que ses restes reposent, près de son frère.

Si elle a vécu, où repose Marie de Romieu ? 

Sous quelle dalle demeure celle qui, toute sa vie aima « la Rose fresche », qu’elle évoque dans son hymne à la rose ? Moins connu que celui de Ronsard, plus érudit, aussi évocateur de la fragilité des choses, il me charme tout autant :    

Hymne de la rose,

 

A Madame Françoise de la Rose

Je veux chanter icy la beauté de la Rose,

Qui de toutes les fleurs la beauté tient enclose ;

Puis la Rose je veux à la Rose donner,

A toi, Rose, qui peut tout un monde estonner,

Et ravir les esprits d’un singulier bien dire

Qui à la volonté doctement les attire.

Au-dedans d’un jardin s’il y a rien de beau,

C’est la Rose cueillie au temps du Renouveau.

L’aube a les doigts rosins, de Roses est la couche

De la belle Vénus, et  teincte en est sa bouche ;

En Paphos sa maison est remplie toujours

De la soefve odeur des Roses, fleurs d’Amour.

 

La Rose est l’ornement du chef des Damoisselles ;

La Rose est le joyau des plus simples pucelles ;

De Rose est semé des Charites le sein ;

De son parfait parfum le ciel mesme en est plein.

Bacchus, ce deux fois né, ce Bassar venerable,

Faict de Roses garnir sa bien-garnie table,

Et verse incessamment les Roses près le vin,

Versant aussi le vin pras les Roses sans fin.

De Roses l’amoureuse embasmera son coffre,

Lors que de son amy le linge blanc encoffre.

 

Quand le jour adviendra de mon dernier vouloir,

Je veux par testament expressement avoir

Mille rosiers plantés près de ma sépulture,

Afin qu’à l’advenir, grands, soient ma couverture.

Puis l’on mettra ces vers engravés du pinceau

En grosse lettre d’or, par-dessus mon tombeau :

 

« Celle qui gist icy, sous cette froide cendre

Toute sa vie aima la Rose fresche et tendre

Et l’aima tellement qu’apres que le trespas

L’eut poussée à son gré aux ondes de là-bas

Voulut que son cercueil fut entouré de Roses 

Comme ce qu’ell’ aimoit par-dessus toutes choses. »


Je me permets de terminer cette courte chronique qui fait revivre un moment deux poètes vivarois de la Renaissance, par mon sonnet à Marie, (écrit pour notre conférence à Viviers, évoquée en début de texte). La poésie escorte les siècles, et si celle des femmes est souvent moins connue, elle continue de vivre, même en nos temps présents.

 

Moi, Elyane, poète inconnue du XXIè siècle, rends hommage à Marie, de la Renaissance, en complicité poétique, qui traverse le temps.

Sonnet à Marie de Romieu

A toi, Marie,

 

Ecrivaine et poète, muse ignorée de moi

Au temps où j’écrivis mon hommage à Viviers,

Nous te rendons la vie, un moment avec joie,

Preuve que le présent est enfant du passé.

 

Mais as-tu existé, dans cette Renaissance

Où les femmes invisibles travaillaient loin du temps,

Où tant de grandes dames oeuvraient avec brillance,

Dans ce siècle humaniste magnifique et violent ?

 

Qu’importe, chère Marie, ce que fut ton destin,

Nous aimons tes sonnets qui résonnent au jour

De nos vies si fragiles, entre amour et chagrin,

 

Féminisme affiché, souvent teinté d’humour,

Belle langue françoise de nos anciens chemins,

Que tu nous donnes envie de faire vivre toujours.


© Elyane Rejony

Auteure, poète

Viviers- 8 février 2019

Télécharger
Texte historique et généalogique sur les Romieu de Jack SZABO
JS-Jacques et Marie de Romieu.pdf
Document Adobe Acrobat 698.4 KB